Jacques ARNAUD

MA BELLE !!!

Une sortie qui finira mal.

 

            Dimanche, ce sera fête. Je les ai entendus. Ils parlaient de faire une virée. Ce n'est pas que je sois vieille certes, mais je commence tout de même a avoir une certaine expérience, et je sais reconnaître ceux à qui j'ai affaire.

            Vous savez, il y en a qui promettent beaucoup et qui ne tiennent jamais. Mais eux, ce n'est pas du tout leur genre. Je suis certaine de moi. Ce dimanche, on va se faire une belle balade avec toutes mes copines, ça va être super. Je ne sais pas quel temps il fera, mais mon mec, quand il est décidé, il va jusqu'au bout. Ce n'est pas quelques gouttes d'eau qui vont l'arrêter, et les autres ils ont l'air un peu du même genre. Enfin pas tous, mais il en restera toujours assez pour s'amuser.

            D'habitude, on se fait de belles petites sorties en solitaire, lui et moi, peinards. J'aime bien me promener tranquillement, comme ça, dans la nature, en prenant le temps de musarder, de respirer les odeurs, de regarder les paysages. Mais bon, la compagnie, ça a du bon aussi. D'autant que le parcours, je le connais. Je l'ai déjà fait. Pas avec lui, il ne le connaît pas, il n'y est jamais venu, en tout cas, pas à ma connaissance. En fait, c'était la promenade préférée de mon ex. Ne lui dites surtout pas, il serait jaloux. Vous savez ce que c'est, il ne faut jamais parler des ex, ça fait des histoires. Mais bon, ce parcours je le connais par cœur. C'est un parcours qui me convient à merveille. Au début, c'est plutôt roulant, même chiant, mais après, ça se resserre et même, sur la fin, juste avant d'arriver au restau, c'est carrément toute une série de virages extrêmement serrés. Les pistardes ne seront pas à la fête, je vous le dis. Moi, par contre, ces épingles, je les adore.

            Ce n'est pas que mon ex était un furieux, il était même un peu motocondriaque. Je me rappelle qu'une fois, on est rentré à deux à l'heure parce que j'avais dépassé le kilométrage pour la révision. C'est toujours très flatteur d'être traité en « Old Lady », mais j'ai tout de même des cousines qui se trimballent avec trois cent mille bornes au compteur, alors une de plus ou une de moins.

            Mon mec actuel, il n'est pas du tout comme ça. Quelqu'un a dû lui dire que, lors des révisions, si la moto n'était pas propre, les mécanos la passaient au karcher avant d'intervenir. Du coup, j'ai droit à mon passage chez l'éléphant bleu avant chaque révision. Et ce sera tout ! Remarquez que je n'ai pas à me plaindre, l'autre, elle ne le voit jamais le jet d'eau et ne peut compter que sur les bienfaits du ciel pour se faire belle. Enfin bon, c'est jamais qu'une caisse. Faut pas exagérer non plus. Vous ne trouvez pas que ça fait salope comme nom « twingo », vous ? En tout cas, moi ça ne me plairait pas de m'appeler comme ça. Toujours est-il que ce n'est pas mon mec qui va user la peinture à trop nous laver. Par contre, quand il faut prendre la bonne trajectoire, ça, il sait faire.

            Et le grand jour a fini par arriver. Brrr ! Qu'il fait froid ! Enfin, il fait grand beau et, dans peu de temps, la température va remonter. Courage !

            Évidemment, je suis la plus sale. Ne vous moquez pas, ce n'est pas de ma faute. Bon je vous les présente, il y a Div, ma meilleure copine. Avec elle, nous nous connaissons de bien avant. Il y a aussi Varad et Bonnie, mais elles, c'est plutôt des connaissances du boulot de mon mec. Bonnie se la pète un peu star de l'ancien temps, mais ne vous y trompez pas, c'est une jeunesse. Katoch aussi est venue, avec elle ça va être dur parce qu'elle marche fort, même dans les petits virolos. Et pour finir, sont aussi venues, une de ces théières d'outre-Rhin et deux pistardes, une cousine, Rsvé et une bridée, Gex. Ces deux dernières, je les aime moins, elles sont tellement snobs. Sous prétexte que j'en ai que quarante huit chevaux, elles me traitent comme de la merde. Elles n'en ont jamais que cinquante de plus et, comme elles sont aussi extrêmement grosses, ça revient presque au même après tout. Vous savez, moi je connaissais vaguement une quat'pat qui se vantait d'en avoir cent soixante. Son mec l'avait débridée sans rien dire. Et ben, aujourd'hui, elle prend la poussière au fond du garage parce que son mec s'est dégonflé et comme elle est devenue invendable, n'est-ce pas !!!

            Bon alors, qu'est-ce qu'on fait ? On prend racine ou quoi ?

À l'aller.

            Après qu'ils en aient enfin fini avec leurs histoires de régiment, nous avons pris la route pour une belle journée de promenade. Tous en file indienne, le temps de monter en température, nous avons attaqué calmement les longues lignes droites du début. Je vous raconte le parcours. Avec mon ex pour tout dire, on ne partait pas par là. On passait à travers champs. C'est bien plus long, mais aussi beaucoup plus beau. Enfin, toujours est-il qu'avec eux, on est parti par la route la plus courte. Au départ, ce sont de grandes lignes droites sans fin. Le temps de sortir de la ville, puis après, on traverse une campagne sans grand intérêt. Les paysages monotones se succèdent. Et enfin, après deux trois heures, une petite barre de montagne se profile à l'horizon. Faut pas se tromper, juste avant d'entrer dans le petit bourg, lové au pied de la falaise, il faut tourner à gauche et emprunter la petite route qui part vaillamment à l'assaut de la montagne. Au début, ça ne tourne pas de trop, mais, au fur et à mesure, ça se resserre, jusqu'à devenir carrément craquant jusqu'au restau perché tout en haut. Et, s'il fait beau, le patron ouvre la terrasse et sert à manger dans un décor sublime, avec une vue magnifique sur la vallée. Enfin, c'est ce que j'en ai entendu dire parce que nous on reste de l'autre côté, dans la rue, en face. Puis, après que nos mecs aient enfin fini de s'empiffrer, on revient en passant par l'autre versant, qui traverse une forêt merveilleusement remplie d'odeurs toutes plus enivrantes les unes que les autres. C'est le clou de la journée, en été, cette petite fraîcheur est même tout ce qu'il a de plus agréable. C'est le coin que je préfère.

            Dans la première partie du trajet, toutes sont restées calmes. Nous roulions en file indienne sans qu'aucune ne s'excite et les caisseux restaient sympa, faut dire que cette file de bécanes, ça devait être impressionnant. Je n'ai jamais dit que ça allait durer, mais à ce moment-là, chacune se chauffait. Et une fois que nous avons toutes été prêtes à en découdre, la petite route est arrivée.

            Les deux pistardes ont pris la tête du groupe discrètement. Mon mec, lui n'a rien vu venir, il n'est pas comme ça, ces choses-là il ne les voit pas venir. C'est quand Katoch a forcé le passage qu'il s'est réveillé. Pendant un petit moment, la théière a essayé de suivre, la prétentieuse, puis elle nous a toutes bloquées. Il y a eu une petite série de virages pendant lesquels nous avons vu le feu arrière de Katoch s'éloigner. C'était désespérant et puis mon mec a profité d'un virage à gauche avec visibilité pour lui faire l'intérieur, cette idiote de théière étant restée sagement à sa droite. Alors, la remontée a pu commencer. C'était grisant, je le sentais en forme, en très grande forme. Et lui il avait l'air furax d'avoir été bloqué aussi longtemps. Dans une petite ligne droite, j'ai même vu les trois feux rouges. Katoch était en train de revenir sur les pistardes et nous aussi, nous étions en train de remonter sur Katoch, enfin tout au moins nous ne prenions plus de retard sur elle. Tout ça a été très furtif, mais ça l'a encouragé à mettre encore plus la patate. Je me rappelle qu'à ce moment-là je me suis demandé ce que les autres étaient devenues. Elles avaient disparu des rétros.

            Le feu arrière de Katoch apparaissait de plus en plus souvent. Elle n'était pas à la fête, trop de virages et trop serrés. Et soudain, un nuage de poussière en sortie de virage, elle venait de faire une erreur. Nous avons coupé le temps de voir Katoch se bagarrer dans un champ pour revenir sur la route. Bon sang ne saurait mentir, ces gènes tout terrain étaient en pleine action. Enfin, tout est bien qui finit bien, ils n'avaient rien et nous, nous avions réussi à la dépasser. Sérieux, revenir sur Katoch c'est une chose, la passer, ça en aurait été une autre. Et maintenant au tour des deux prétentieuses.

            Lorsque nous sommes arrivés dans la série d'épingles à cheveux, nous y avons trouvé Gex qui se battait contre son propre poids, son dépassement n'a posé aucun problème et deux virages plus loin, il a fallu rendre la main sur le feu arrière de Rsvé. Grouille mec, on arrive au restau. Et merde, elle nous fermait la porte à chaque fois. On aurait pu être plus vite, mais elle ne nous laissait pas passer.

            Qu'est-ce qu'il nous a fait ? C'est un fou ! Il l'a dépassé oui, mais il lui a fait l'intérieur dans un virage à gauche sans visibilité. Si une voiture était venue, je serais morte à l'heure actuelle. Tu ne me refais plus jamais ça, si tu ne veux pas que je tombe en panne. Il est con ce mec ! Je m'en fous de gagner ! Je préfère vivre ! Enfin, c'est le restau. Je te jure que si tu me refais un truc pareil, ni une, ni deux, je coupe l'allumage, et démerde toi pour trouver la panne...

            Stop ! Ouf toujours vivante ! Hé, hé, c'est Katoch qui est arrivée en trois. Oh, oh, si vous aviez vu la tête qu'elles faisaient les pistardes ! Ça valait le détour. Quand je vous disais que cette balade était faite pour moi. Les autres finissaient d'arriver et découvraient le tableau. Oh, je savais bien que seule Div était réellement sincère, qu'elle était vraiment heureuse pour moi, et sa joie m'est allée tout droit au cœur. Mais enfin bon, vous savez ce que l'on dit. Ce terrain, cette victoire, ce n'était jamais qu'une victoire spécifique. Elle n'est en rien représentative, bien au contraire, gagner ici signifie perdre partout ailleurs, soyons réalistes.

Au retour.

            Et maintenant, nous voici tout seuls lui et moi. Cet imbécile a passé tout le repas à se moquer d'eux. Ne me dites pas que ce n'est pas vrai, j'ai tout entendu. La fenêtre était ouverte. Et évidemment, au retour, ils sont partis à donf, même Div, et ce couillon n'a plus vu que leurs feux rouges s'éloigner au bout de la première ligne droite. Seule, Katoche est restée avec nous, juste le temps d'arriver dans des virages pour s'éloigner à son tour dans les grandes courbes. La classe. Ne me dites pas que ce n'est pas juste ! C'est, au contraire amplement mérité. Il n'avait pas qu'à se prendre pour Rossi. Quand on a toujours été rapide, les gens trouvent ça normal. C'est quand on le devient que ça fait des problèmes.

            Remarquez que moi ça ne me dérange pas de rouler cool. Vous savez, le coup qu'il m'a fait juste avant le restau, ce dépassement sans visibilité, et bien je l'ai toujours en travers de la colonne. C'est le genre de plan qui finit à la casse. Ce qui n'est pas du tout à mon goût. Ce n'est pas que je sois contre le don d'organes, si ça peut aider un nécessiteux, mais comme dit Div « le plus tard sera le mieux ! » Allez, bonne route !!!

 

Petite Bréva 



04/06/2012
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